Un bateau est une base de vie autonome dans le sens où aucun réseau d’eau potable, d’électricité ou de gaz ne l’alimente. Il y a donc 3 préoccupations permanentes pour l’avitaillement hors alimentaire :
- L’électricité
- L’eau
- Le gaz de cuisine
- Le diesel pour les moteurs (l’essence pour l’annexe dans une moindre mesure)
Pour l’électricité, le bateau n’ayant pas vu un ponton depuis 4 mois, elle provient des panneaux solaires et des alternateurs moteurs (que la sainte patronne des courroies nous protège). L’eau est fournie par le désalinisateur ce qui évite d’avoir à la récupérer à terre et qui nous permet de la boire, chose plus risquée lorsqu’elle provient d’une vague citerne rouillée à Cuba ou ailleurs.
Le diesel est la première préoccupation d’avitaillement. Il est au sommet de la chaîne énergétique du bord et nous alimente en eau, en électricité en plus de permettre les manoeuvres et la navigation quand le vent n’est pas au rendez vous.
Enfin, le gaz de cuisson est indispensable pour le pain, les pates et le riz et plus généralement toute la cuisine. Voici le sujet de cet article.
Si l’approvisionnement en diesel est assez aisé (quoique…), un ponton carburant ou même un simple bidon pouvant faire l’affaire, recharger en gaz est beaucoup plus complexe.
Nous disposons à bord de 2 bouteilles de gaz de cuisine domestiques de 12,5kg de butane, celles là même qu’il est si facile d’acheter en France en échangeant la bouteille vide contre une pleine. Oui mais…
Evidemment tous les systèmes de raccordement de gaz sont spécifiques par pays en diamètre, en pas de vis,… Et, sortis de France, l’échange de bouteille n’est plus une option. Il faut donc les remplir mais là encore l’opération n’est pas aussi simple que de remettre du carburant dans un réservoir.
Me voila donc à Cienfuegos à la recherche de quelqu’un qui pourrait me remplir ma bouteille de gaz vide, l’autre étant encore à un bon niveau mais mieux vaut ne pas risquer la pénurie!
Le personnel de la marina ne peut rien faire pour moi, me disent que je ne trouverai pas et que, peut être faire le voyage jusqu’à la raffinerie pourrait résoudre mon problème mais cela ne me semble pas suffisamment sûr pour tenter les 40km aller retour vers la raffinerie… Je m’apprête à retourner au bateau bredouille quand un bicytaxi (taxi vélo) me dit qu’il connait quelqu’un qui peut remplir ma bouteille. Evidemment d’opération s’effectue en toute discrétion car j’apprend pour l’occasion qu’à Cuba le gaz n’est pas en vente libre! Seul l’état peut pourvoir à l’alimentation en bouteilles de gaz de cuisine aux citoyens.
Le gaz est donc vendu exclusivement aux cubains sur présentation de leur carte de rationnement (livretta) et de quelques pesos. Je comprend alors la difficulté qui m’attend…
Néanmoins je tente l’aventure et embarque avec ma bouteille de 12kg de butane vide à bord du bicytaxi. Après 30 minutes de pédalage, nous arrivons dans les faubourgs de Cienfuegos chez “el chico del gas”, sous entendu un jeune homme, conducteur de bicytaxi de son état, qui s’est fait une spécialité de transférer du gaz d’une bouteille officielle à un autre récipient moins officiel. L’homme est grand, assez fin, aux traits émaciés et porte de grandes lunettes rayban. Il conduit son bicytaxi avec sa seule main valide, son autre membre supérieur se terminant en moignon. Il a en tout cas tout à fait le profil parfait d’un traficant de gaz au marché noir qu’on pourrait croiser au détour d’une BD ou d’un romain policier.
Les 2 hommes se penchent sur ma bouteille de gaz et essayent de trouver un embout pour commencer le transfert. Evidemment, rien dans le bric à brac de l’arrière cours ne convient au pas de vis de ma bouteille qui, comme vous le savez peut être, présente la caractéristique de se visser de droite à gauche et donc à l’inverse d’un pas de vis classique.
Au bout de 10 minutes, Giovani, mon bicytaxi est formel, il faut fabriquer un embout. Qu’à cela ne tienne, il m’emmène ma bouteille de gaz et moi, à coté chez un tourneur! Durant près de 1h j’assiste à la création d’un boulon à la dimension adhoc et au pas de vis à l’envers. En partant d’une tige de métal hexagonale, le tourneur réussit à copier exactement l’embout d’une bouteille de gaz cubaine mais avec un pas de vis inversé! C’est bien la première fois que j’observe depuis le départ la fabrication d’un écrou!
Une fois fabriqué, nous retournons chez “el chico del gas” mais il manque encore quelque chose. En effet, une fois l’écrou fabriqué, il faut pouvoir y adapter un tuyau de l’autre coté et, un bref retour dans le bric à brac d’où débordent boulons et pièces rouillées en tout genre orientent mes 2 cubains une nouvelle fois vers une méthode plus radicale.
Je les vois se diriger dans la maison d’à coté et revenir avec un vieux cadre de vélo d’enfant à moitié rouillé et une scie à métaux. Je ne comprend que quelques secondes après que les 2 hommes veulent utiliser une portion du cadre comme embout de sortie et l’entrée en scène d’un poste à souder à l’arc me le confirme!
Le poste à souder méritait à lui même la photo (mais je n’avais pas d’appareil), une fabrication maison complète avec un vieux rectangle de matière isolante et des spires de cuivre enroulées à la main, tous les cables étant apparents. l’alimentation de l’engin, en 220V se fait avec 2 énormes fils à moitié dénudés que notre cubain va connecter quelque part dans son garage.
Ils commencent à souder la portion de cadre de vélo à l’écrou fraichement tourné pour l’occasion.
A ce moment là, cela fait 3h que je suis parti du bateau, la bouteille est toujours vide mais un ami du “chico del gas” termine mon embout avec son poste à souder à l’arc. Enfin, il va pouvoir transférer le précieux propane et remplir ma bouteille!
Mais non… L’incroyable se produit… Après 2h de travail pour construire l’adaptateur, “el chico del gas” secoue tous ses fonds de bouteilles et me dit… Qu’il n’en a plus assez pour remplir la mienne! Tout ça pour en arriver là…
Après avoir gentiment décliné sa proposition de me remplir la bouteille avec du gaz pour chalumeau à souder (gloup’s), je repars avec Giovanni mon bicytaxi qui me jure que d’ici 3j je peux revenir et que le gaz coulera à flot de nouveau chez “el chico del gas”.
En fait, 3 jours plus tard, à notre retour de la Havane, j’ai tenté une nouvelle fois mais une fois arrivé chez “el chico del gas”, notre homme était parti d’urgence avec son bébé malade à l’hopital. Nous repartirons donc de Cienfuegos sans avoir rempli notre bouteille!
L’épilogue de l’histoire du remplissage de notre bouteille se passe finalement à Santiago de Cuba où Pedro et Rosa, dans la maison d’à coté, se sont spécialisés en services aux navigateurs de passage. Ils habitent à coté de la marina et possèdent tous les embouts nécessaires. En 24h j’ai finalement réussi à récupérer une dizaine de kilos de gaz de cuisine dans ma bouteille…
En bateau de grand voyage tout ce qui est simple à terre dans son pays peut se transformer en une véritable aventure une fois à l’étranger et en conditions rustiques. Finalement cela permet aussi de rentrer en contact avec les “vrais gens” loin des circuits touristiques officiels.
De cet épisode de Giovani et “el chico del gas” il me reste… Un embout, témoin de la débrouille cubaine qui n’a rien à envier à Mc Giver (souvenez vous!)
1 comment
Julien
15 février 2015 à 14 h 09 min (UTC 2) Lier vers ce commentaire
T’aurais pu faire un essai avec le gaz du chalumeau des fois c’est du propane ou du butane, sinon c’est de l’acétylène. Batterie de cuisine soudée au bateau = acétylène
En tout cas tu te marres bien je suis jaloux!